Union Artistique de Savoie

"éléments rassemblés et annotés" par Jean-Louis Herrmann

 

La Naissance de l’Union artistique de Savoie

Soirée de l’Union artistique du 3 janvier 1885

Rapport de M. Daisay, président

L’Union artistique a été créée en 1881 par un groupe d’artistes chambériens, dont Jules Daisay qui en sera le premier président. Jules Daisay était Né à Barberaz en 1847. Il avait bénéficie de l'enseignement de Benoit Molin, peintre, créateur de la musée de Chambéry puis avait parfait son art à Paris. De retour en Savoie, il est nommé professeur de dessin au lycée de Chambéry. Il succéda à Benoit Molin à la direction du musée de peinture et d'archéologie. Il était apprécié pour la qualité de ces portraits (de nombreux notables chambériens ont fait appel à ses talents). Il a également peint des scènes de genre et des paysages des Alpes si bien qu’il peut ainsi être considéré comme un précurseur de l'école chambérienne des peintres de montagne.

L'indiscrète

Il décédera à Chambéry à 53 ans. Le 3 janvier 1885, 4 ans après sa création, l’Union artistique réunit la bonne société chambérienne, les membres «honoraires» (mécènes) et «actifs». Devaient être présents le baron Lucien d'Alexandry d'Orengiani, fils du sénateur de Savoie et du maire de Chambéry jusqu’en 1870, le Marquis Costa de Beauregard, président du Conseil général de Savoie, le Comte Jean-Adrien Philippe de Patek, genevois, dont le père créa les premières montres bracelet, le comte de Villeneuve qui possédait le chateau de Cognin mais également des biens à Chambéry, Antoine Perrier, maire de Chambéry depuis 1884, ses «élèves» (François Cachoud, Mars Valett, Jean Bugnard), Jules Carret, ce médecin touche à tout, ses «modèles» (Alphonse REY, conseiller à la Cour d’appel, Maitre Jamot, notaire de Chambéry, Docteur Bonjean inventeur de l’élixir du même nom...).

La soirée a été ouverte par le rapport du Président. Elle s’est poursuivie d’ une «Causerie sur l’art» par M. Bérard, vice président (soporifique - mais l’orateur prévient : «... Donnez libre carrière à vos bâillements ; et si, d’aventure, le sommeil vous prend, dormez en paix...» ). Elle a très certainement pris fin devant un buffet bien garni et derrière une flûte de Champagne.

Mais, taisons nous, le président entre et prend la parole.

Autoportrait de 1886 (contemporain de la soirée... pour se mettre dans l’ambiance)

« Mesdames, Messieurs,
Pour la 1ère fois notre jeune société, l’union artistique, a pu convier à une fête de famille ses membres honoraires et ses amis. Nous ne pouvons assez remercier d’un empressement qui, de votre part, Messieurs, est une marque de bienveillance, et de la votre, Mesdames, le plus gracieux et le plus aimable des encouragements. N’est-ce pas chez la femme, en effet, que l’on trouve réunis ce gout exquis qui devance et déconcerte les théories, et cette appréciation pénétrante toujours exprimée avec une délicatesse qui adoucit l’amertume de la critique et rehaussé le prix de l’éloge ? Permettez à l’Union Artistique de se présenter elle-même, et, par la voix de son président, de vous faire connaître son origine, sa situation présente et ses espérances. Depuis quelques années, il se produit en France un mouvement en faveur du dessin; on veut régénérer son enseignement vieilli dans les écoles publiques et pousser l’éducation nationale dans la voie des beaux-arts. D’autres part, les artistes et amateurs de notre région se sentaient isolés les uns des autres, privés de cette cohésion qui est une force de cette émulation nécessaire qui aiguillonne et avive le talent. Malgré quelques craintes sur le succès de leur entreprise, quelques-uns de ces artistes se mirent à l’oeuvre, élaborèrent des statuts, recrutèrent, presque dès le début quarante membres honoraires et vingt-cinq membres actifs, louèrent un premier atelier sur la place Octogone; et c’est ainsi, grâce à un heureux concours de circonstances favorables, notre Société a réussi et s’est développée avec une rapidité qui dépasse les espérances de ses fondateurs. Alors les encouragements nous arrivèrent nombreux. Le Ministre des beaux-arts voulut bien nous envoyer, sur notre demande, une belle collection de gravures;le Conseil général nous accorda une première subvention qui vient d’être renouvelée et qui, nous en avons l’assurance, sera continuée; l’Académie de Savoie mit des prix au concours à notre intention, enfin, les dons particuliers ne nous manquèrent pas,le comte de Patek fit plusieurs dons successifs, un abonnement au journal de L’Art,une collection de modèles et d’estampes variés et un magnifique volume; les chefs-d’oeuvre du Luxembourg. Notre Société a reçu aussi de M. Lucien d’Alexandry une belle collection d’eaux-fortes de Boissieu; de M. le marquis Costa de Beauregard, une non mois belle et non moins riche collection de gravures, reproduisant les chefs-d’oeuvre de la Pinacothèque de Munich; de diverses personnes enfin, une quantité d’autres dons qu’il serait trop long d’énumérer. Que tous ces généreux donateurs reçoivent le témoignage public de notre reconnaissance. N’était-ce pas là des motifs suffisants de persévérer et de s’agrandir ? La Société n’hésita plus; elle fit, grâce à l’obligeance de M. le comte de Villeneuve, construire et aménager au 4° étage de sa maison le nouveau local qu’elle occupe actuellement. Cette dépense considérable a été couverte en partie par les avances de M. Villeneuve et complétée par les réserves de la Société avait pris soin de se créer dès le début. Permettez-moi deux figures de statistique : la petite phalange du début a vu avec bonheur ses rangs s’élargir, et aujourd’hui, je suis tout fier de vous annoncer que l’Union Artistique compte trente cinq membres actifs et quatre-vingt-dix-huit membres honoraires. La situation morale et intellectuelle de la Société n’est pas moins bonne que la situation financière, et le président croit de son devoir de rendre justice à l’esprit de conciliation qui n’a cessé de régner parmi nous, malgré tant de différences d’âges, de caractères et de goûts, et à l’entente sincère et cordiale qui a toujours rendu ses fonctions si faciles et agréables. On dit que les poëles sont irritable, et ont épiderme délicat; il n’en est pas de même des artistes, parait-il, car c’est avec la plus parfaite sérénité que chacun de nous, non seulement accepte, mais appelle la critique. Quelques personnes pourraient croire qu’il y a dans notre Société une enseignement organisé, un professeur qui expose doctement des théories, formules savantes, des conseils et propose d’infaillibles recettes pour réunir peinture, aquarelle ou fusain. Non, s’il y a parmi nous un enseignement, il est naturel; s’il y a un professeur, ce professeur c’est tout le monde; si le goût de chacun de nous s’améliore et s’épure, c’est par suite de discussions amicales fondées sur le raisonnement et l’observation de la nature. Bien peu d’ailleurs, parmi nous, deux ou trois, tout au plus, sont des artistes de profession. Presque tous sont amateurs sans prétention aucune, qui viennent se délasser de la lutte laborieuse et prosaïque pour l’existence, dans la culture paisible et poétique des beaux-arts. Pas d’examen d’entrée, pas de règlement impitoyable à l’intérieur, et l’on pourrait écrite sur notre porte, comme Rabelais sur celle de l’abbaye de Thélelem : Fais ce que tu voudras. On espère seulement du récipiendaire, et c’est vous dire que jamais notre espérance n’a été déçue, un peu de bonne volonté dans le travail, quelque sincérité dans ses efforts et beaucoup d’indulgence dans la critique. Pendant l’hiver, l’atelier est très assidûment fréquenté, et plusieurs fois, il nous est arrivé de nous trouver à l’étroit. Sa position centrale permet à chacun de nous d’y faire dans la même journée plusieurs ascensions que l’habitude rend moins pénibles, en les espaçant au milieu des occupations plus lucratives, mais moins attrayantes du matin et du soir. Ce sont de continuelles entrées ou sorties, qui rendent le travail plus gai; l’attrait de notre petit cénacle plus vif, les relations entre les membres de notre Société plus variées, plus fréquentes et plus familières. Qu’il y ait parfois un peu d’encombrement et de chaos, sans doute : l’un, se reculant un peu pour juger de l’effet de son oeuvre, renversera le chevalet de l’artiste placé derrière lui : l’autre posera sa palette sur une chaise et, s’asseyant étourdiment, produira les effets de couleurs inattendus. Mais n’est-ce pas le cas de dire avec le poète que «Souvent un beau désordre est un effet de l’art». Parfois cependant l’art lui-même le cède à la causerie; quelque discussion animée s’engage, l’esprit et du meilleur, se met de la partie et gagne presque toujours. Pendant la belle saison, au contraire, l’atelier est souvent désert. Quand le printemps habille gaiement les arbres et fait courir le gazon le long des coteaux, ou quand le soleil perce peu à peu la brume légère qui le voilait timidement, et verse des torrents de lumière et de couleurs sur nos vallées, on voit s’éloigner en petites troupes les peintres avec leur chevalet, leur pliant et leur parasol, les aquarellistes et les fusinistes avec un bagage plus simple et plus léger. On se rend à quelque distance de la ville; puis on se disperse, chacun choisit son point de vue et l’on se retrouve deux ou trois heures après, avec les ébauches ou les pochages les plus variées et parfois les plus heureuse. Ce travail partagé entre la nature et l’atelier, pratique, dépouillé de tout pédantisme, ces études parfois imparfaites, mais toujours sincères, ont produit les résultats les plus satisfaisants. SI nos jeunes gens ont fait des progrès considérables, les anciens, arrivés à un âge ou l’on se contente d’ordinaire de marquer le pas, ont amélioré leur manière, traité leur sujet d’une manière plus correcte ou plus large et cherché d’avantage l’idée, la poésie sous le dessin et la couleur. Telle est la situation présente de la Société, que peut-elle espérer de l’avenir? En sortira-t-il des peintres d’histoire, des peintres de genre ? Non, il faudrait pour cela des études spéciales, un enseinement anatomique, qui ne convient qu’à ceux qui veulent faire de l’art le but de leur existence.les tendances manifestes de notre Société la porte vers le paysage. Les autres branches ne sont guère possibles qu’à Paris et dans nos grandes villes; et nous voyons au contraire nos plus célèbres paysagistes, les Corot, les Rousseau et toutes l’école actuelle déserter les rues de la capitale pour les sentiers de Fontainebleau. Que de ressources ce genre offre en Savoie ! où trouver un pays qui, dans un rayon si court, présente plus d’aspects particuliers ? Montagnes qui bornent l’horizon, lacs qui semblent le prolonger, ciel empourpré des rougeurs du soir, ruisseaux ombreux qui gazouillent sur le lit de cailloux, cascades qui tombent au milieu de roches cyclopéennes, noires forêt de sapins alpestres, et même, en se dirigeant vers Culoz, plaines coupées de fleuves et de marécages : que de sujets originaux et pittoresques ! Quelle riche moisson à faire ! Puissions-nous trouver parmi nous d’habiles moissonneurs ! C’est par les beaux-arts que les peuples s’affermissent dans le présent et vivent encore dans le souvenir de la postérité.
Si la Savoie apporte un jour sa modeste pierre à l’édifice artistique de la France, peut-être n’oubliera-t-on pas le rôle de l’Union artistique. Sans doute nous ne verrons pas nous-mêmes ces résultats qu’il est au moins permis de souhaiter : ceux qui ont semé ne font pas toujours la récolte. Mais on se souviendra des fondateurs de l’Union artistique, et on leur accordera la seule récompense qu’ils ambitionnent : un peu de reconnaissance ».

Discours brillant et touchant. Un siècle et demi après sa création, l’Union artistique reste vivante. Son âme, si bien décrite par Jules Daisay, a été conservée. La réédition de ce texte témoignera de notre reconnaissance aux fondateurs de cette belle association.

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